La mode façon « See Now, Buy Now »
Sous l’influence de la technologie, les marques s’adaptent différemment à leurs clients et placent désormais leurs défilés au premier rang. Elles ont déjà adopté les réseaux sociaux pour lancer leurs événements marketing et publier leurs collections mais, cette année, les semaines de la mode de New York et Londres ont exaucé un rêve d’immédiateté en inaugurant le modèle du « see-now, buy-now » (« sitôt vu, sitôt acheté »).
Sur plus de 152 couturiers ayant présenté leurs collections à la semaine de la mode de septembre dernier, 10 % les ont en effet commercialisées directement après leurs défilés. En accord avec la saison, ces collections proposaient simultanément les modèles homme et femme mais surtout, elles étaient immédiatement disponibles à la vente.
Depuis la nuit des temps, les semaines de la mode ont toujours été un événement exclusivement réservé aux professionnels du secteur et aux célébrités, et leurs collections ne devenaient accessibles que six à neuf mois plus tard. Alors un tel modèle de vente directe transformerait les défilés en événement inaugural s’adressant directement aux consommateurs pour leur offrir un accès immédiat aux collections de saison d’une marque.
« Si nous publions sur Instagram, diffusons en direct et présentons nos collections, comment pouvons-nous penser que les clients et consommateurs se plieront sagement à un calendrier conventionnel ? » déclare Christopher Bailey, directeur général de la création et PDG de Burberry.
Les marques de luxe font aussi concurrence aux marques de la fast fashion (mode éphémère et abordable) en commercialisant les pièces originales avant même la sortie de leurs copies. Pour son défilé à la semaine de la mode londonienne, la maison Burberry avait créé plus de 250 vêtements et accessoires de saison, soit un total cumulé de 83 looks masculins et féminins, tous immédiatement mis en vente. Naturellement disponibles en magasin et en ligne, les pièces l’étaient aussi via Snapchat, WeChat, Kakao et Facebook, où le défilé était transmis en direct.
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Et M. Bailey de déclarer : « Les changements que nous opérons nous permettront de tisser un lien plus étroit entre l’expérience que nous créons avec nos défilés et le moment où la clientèle peut physiquement s’approprier nos collections ».
Alors qu’il est sûrement trop tôt pour évaluer la réussite du modèle du « sitôt vu, sitôt acheté » (SNBN) sur le long terme, des résultats positifs sont déjà à noter. Selon le magazine américain The Hollywood Reporter, avant midi au lendemain de son défilé, Burberry comptait déjà différents looks en rupture de stock dans sa boutique de Regent Street et son magasin en ligne était logé à la même enseigne pour de nombreux articles. Quelle stratégie a permis un tel succès ? Chaque magasin n’avait reçu qu’un seul exemplaire de chaque taille pour tous les modèles, sans aucune intention de renouveler le stock.
Lors de la fête foraine organisée par Tommy Hilfiger pour la semaine de la mode de New York, la marque a présenté une collection prêt-à-porter (et prête-à-acheter) décontractée et d’inspiration nautique pour la saison automne-hiver 2015/16. Le public d’invités, mêlant professionnels et anonymes, pouvaient ainsi acquérir des pièces sur des bornes dédiées juste après le défilé. Les pièces étaient également disponibles en ligne. Beaucoup d’articles sont actuellement totalement en rupture de stock ou ne sont plus disponibles que dans quelques rares tailles.
« Nous avons enregistré notre meilleure journée de l’année pour Tom Ford juste après son défilé de New York » révèle Joshua Schulman, président de Bergdorf Goodman et Neiman Marcus Group International. Trois articles Topshop n’ont pas attendu la fin des défilés pour être en rupture stock et les ventes du week-end de Rebecca Minkoff ont augmenté de 168 pour cent par rapport à son défilé de l’an dernier.
Si les collections présentées sont immédiatement commercialisées, tout le monde peut vivre l’émotion des défilés, sans jamais connaître la frustration de longs mois d’attente. Une telle approche peut permettre de pérenniser la relation entre la marque et le client et favoriser dans le même temps la fidélisation de la clientèle et la collecte de données stratégiques.
Il faut pour cela permettre d’acheter des articles en ligne ou en magasin juste après un défilé ou intégrer des technologies afin d’harmoniser l’expérience et encourager les décisions d’achat. Les technologies telles que la réalité augmentée et la réalité virtuelle ont ici un rôle à jouer.
« Tout comme le modèle « sitôt vu, sitôt acheté » (SNBN), la réalité augmentée aura un profond impact sur la manière dont les marques et les couturiers interagissent avec les consommateurs », déclare Matthew Drinkwater, directeur de la Fashion Innovation Agency. Et d’ajouter : « L’acte d’achat pourrait lui aussi subir une transformation radicale ». « Imaginez que vous puissiez disposer chez vous de l’hologramme de la robe que vous vous apprêtez à acheter. Si vous y pensez, ce serait plutôt fantastique non ? ».
Fashion week might be over, but we still can't get over @JarlgaardLondon giant holograms #LFW https://t.co/6LkocRp41G pic.twitter.com/DPTQVxNmIU
— London On The Inside (@LondONtheinside) September 21, 2016
Certaines marques se sont déjà aventurées dans les univers de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle. La créatrice danoise Martine Jarlgaard a par exemple réalisé le tout premier défilé en réalité hybride en présentant l’intégralité de sa collection sur des lunettes HoloLens de Microsoft. À New York, Rebecca Minkoff a conjugué la diffusion en continu d’une vidéo en réalité virtuelle avec une collection à acheter immédiatement.
La créatrice a également ajouté un élément de réalité augmentée permettant aux femmes d’essayer virtuellement des collections en ligne et en magasin quelques secondes seulement après leur apparition dans son défilé. « Notre objectif était vraiment de dépoussiérer le secteur et de donner à nos consommateurs la possibilité de venir le voir en personne ou d’y assister en direct en profitant de la vision panoramique offerte par la RV. Nos clientes se réjouissent que nous ayons enfreint les règles pour elles » déclare Rebecca Minkoff.
En septembre dernier, lors de la semaine de la mode de Londres, la boutique de vêtements en ligne Lyst a présenté une exposition en réalité augmentée. Cet événement proposait aux spectateurs de vêtir des « mannequins humains » avec des représentations virtuelles des dernières tendances vestimentaires à l’aide de tablettes et smartphones. « La frontière entre le réel et le virtuel devient alors réellement floue » déclare Rory Scott, vice-président de la communication chez Lyst.
Hey @TheSocialChain, did you see naked @SpencerMatthews wearing the Emperor's New Clothes for @lyst at #LFW? 👀 🍆 pic.twitter.com/QQIbgAlLli
— LYST (@lyst) September 16, 2016
Quels sont les enjeux pour l’avenir de l’industrie de la mode ? Le modèle « sitôt vu, sitôt acheté » (SNBN) n’est-il qu’un battage marketing destiné à appâter les consommateurs ou va-t-il totalement révolutionner la chaîne de distribution ?
D’aucuns craignent qu’il anéantisse la magie du luxe ou nuise à la créativité et la qualité. Pourtant, avec le recours aux technologies comme la 3D pour accélérer la commercialisation et améliorer la productivité, le modèle « sitôt vu, sitôt acheté » (SNBN) pourrait bien être adopté plus tôt que prévu, surtout si les marques décident de suivre les besoins des consommateurs.
« Il est important que les couturiers prennent toute la mesure de leurs créations et sachent quand elles sont livrées en boutique » déclare Ken Downing, directeur de la mode chez Neimen Marcus. « En réalité, le client ne fait plus d’achat anticipé, il achète désormais un article pour le porter tout de suite. »
Il est certain qu’il faudra du temps avant de connaître l’effet de ce modèle sur le consommateur et d’en observer les conséquences sur la chaîne d’approvisionnement. Reste que, sans être forcément une révolution digitale, c’est sans nul doute une évolution.